Les raisons d'un refus

A Port-au-Prince, j’avais quitté  loin derrière moi le monde vaudouisant. J’aimais lire. Je me suis plongé dans la lecture de la Bible. Les chants évangéliques, je les chantais, je les aimais. Déjà, à Léogâne, les cantiques du vaudou, les raras, j’avais la musique dans le sang et dans le cœur. Léogâne est la capitale du rara : Vendredi Saint, Samedi de l’eau bénite, Dimanche de Pâques, les gens viennent de partout danser le rara au Carrefour Dufort.

Comment j’ai eu l’idée de devenir pasteur et comment j’y avais renoncé

 

A Port-au-Prince, la première fois que j’ai eu l’idée de devenir pasteur, ce fut en avril 1974. Le grand pasteur Luc Nérée était orateur principal à la Grande Convention Annuelle de la Mission Evangélique Baptiste du Sud d’Haïti,  que diffusait Radio Lumière, radio de la Mission. Le thème alors, c’était : « La moisson est grande mais il y a peu d’ouvriers. » Emu, je me suis dit : « Moi, je serai ouvrier. » J’étais en 3e secondaire. Je ne connaissais pas encore les Cayes où j’habite depuis 1980.

Plus tard, en Philo, je faisais partie de l’Inter-Philo, mouvement qui rassemblait les élèves de Philo de la Capitale autour d’une revue. Et, lorsque les « philosophes » enregistraient leur voix pour dire quelle profession ils allaient embrasser, ma phrase à moi fut : « Je serai Pasteur. »

Pourtant, après les résultats positifs du Bac, je ne voulais plus chercher à entrer au Séminaire Théologique Baptiste du Limbé où avaient étudié les pasteurs Ruben Marc et Amos Gabaud. Je ne voulais plus devenir pasteur. parce que, ayant déménagé, j'ai eu à cotoyer des gens qui montaient des tonnelles pour chercher des missionnaires américains qui puissent leur fournir de l'argent sur le compte de l'Eglise. Je trouvais ces gens méprisables et je ne voulais pas, en devenant pasteur, etre traité de profiteur des fidèles comme ces gens-là. Et puis, ma mère étant pauvre paysanne, je ne voulais pas apprendre un métier ou je ne puisse pas gagner ma vie en tant que professionnel. Je ne voulais plus etre enfermé dans un séminaire théologique pendant quatre ans puis dépendre de l'église après. J'ai voulu apprendre un métier pour travailler et toucher et régler mes affaires, et prendre soin de ma mère, sans dépendre uniquement de l'église. J'ai voulu devenir professeur à l'enseignement secondaire.

Mais j'avais la conscience troublée. Je versais des larmes. J'ai eu besoin d'un conseiller. Et comme j'avais décoché du bureau de Radio Lumière de la Rue Pavée #70 tous les certificats du cours biblique par correspondance que gérait le pasteur Martinez Jovin, je suis allé lui demander conseil. Il m'a dit de faire ce qui laisserait ma conscience tranquille. C'était pour moi comme s'il ne m'avait pas répondu. Alors, en pleurant, j'ai déchiré le papier ou j'avais écrit que je serais pasteur et je suis allé m'inscrire à l'Ecole Normale Supérieure pour devenir professeur de francais et de littérature. Je me disais qu'il me fallait une profession pour gagner ma vie et que, si, un jour je devenais pasteur, on verrait que je ne le suis pas pour faire de l'argent.